Extrait de "You Are Not Alone" - Chacun Son Chemin (Partie 3)
Alors, mes frères sont allés sur la Côte Est pour faire de la musique à Philadelphie, pas très loin des racines de "Motown". Dans cet environnement plus souple, Michael et les frangins se sont épanouis en tant qu'auteurs-compositeurs et directeurs artistiques. Et ils ont sortis de la très grande musique. Leurs deux premiers albums n'ont pas décollé, mais ils ont continué à se battre. Avec leur 3ème album, "Destiny", le vent a tourné et la chance est revenue ; fini le son Philly, c'était une collaboration du groupe, écrite uniquement par les frères. Ce disque est devenu double disque de platine. C'est la preuve qu'ils avaient eu raison de conquérir leur autonomie créative. Plusieurs titres sont devenus des 45 Tours qui ont pulvérisé les palmarès des ventes : "Shake Your Body", n°7 aux Etats-Unis et qui a été vendu à plus de 2 millions d'exemplaires, "Blame It On The Boogie", une reprise d'une chanson sortie par un anglais qui s'appelait - est-ce une coïncidence ? - Mick Jackson, et qui s'est retrouvée dans le Top 10 au Royaume-Uni.
Il y a eu aussi l'émission de télévision "The Jacksons" avec Janet, La Toya et Rebbie, sur "CBS", mais Michael avait moyennement apprécié les sketches et les rires en boîte. C'était du vaudeville de base, de la grosse farce, mais au lieu d'être réservé à un public live à Las Vegas, c'était diffusé dans toute l'Amérique.
Michael était inquiet à l'idée que cette surexposition nuise à sa carrière musicale. Nous avions toujours dit que trop de télévision risquait de détruire un artiste comme une ampoule laissée allumée trop longtemps.
Quant à moi, ma vie sans mes frères était une épreuve de retour à la réalité. "Motown" a mis tout ce qu'il fallait dans la production de mon album "My Name Is Jermaine", mais ce ne fut pas le succès qu'il aurait pu être. Tout le monde se méfiait du fait que j'étais peut-être "le fils favori".
Cette réalité, je l'ai enfin touchée de près en 1982, quand le titre "Let Me Tickle Your Fancy" a failli devenir un hit. Après avoir démarré gentiment dans les palmarès aux Etats-Unis (n°17), cette "balle traçante" est retombée mollement au lieu de décoller. "Motown" n'a pas réagi au bon moment. Je me souviens que j'étais à Londres à ce moment-là et que je me sentais trahi, mal dans ma peau. Pourtant, je n'aurais pas dû faire le difficile : mon succès le plus honorable chez "Motown" était encore "Let's Get Serious" ; j'avais été n°9 dans le Top 100 et n°1 dans les palmarès RnB en 1980, avant d'obtenir une nomination aux "Grammy Awards" pour la plus belle voix masculine. Les gens disent qu'une nomination, ce n'est déjà pas mal, mais moi, je n'entendais que la voix de Joseph qui me disait qu'il n'y a que la première place du podium qui compte.
J'ai eu beau faire beaucoup d'efforts au cours des années qui ont suivi, ce n'était plus la même chose sans mes frères. Je n'ai cependant pas regretté d'avoir agi selon mes principes ; mais je regrettais la nouvelle réalité. Ni les Jacksons ni moi-même n'avions pu retrouver la magie et les sommets des Jackson 5. Nous avons passé notre temps à courir après notre ombre, à la fin des années 1970 et au début des années 1980. J'ai continué à enregistrer, mais finalement, j'ai décidé de devenir directeur artistique, sous la houlette de M. Gordy.
- Cherche-les, fais-les signer, occupe-toi d'eux et refais-les signer, me répétait-il.
J'avais mon bureau et une équipe pour chercher et produire les nouveaux talents.
Avec Hazel, nous avons découverts Stephanie Mills, Switch et DeBarge. Si je ne faisais plus de gros succès, j'étais derrière la scène.
Michael comparait sa carrière à l' "Air Force One", le 747 réservé au président des Etats-Unis, un avion unique qui attendait de décoller et qui ne volait que dans son couloir, exclusivement réservé à cet usage. Dans son esprit, l'avion était son empire. Il fallait qu'il soit aérodynamique. Il avait besoin de connaître chacun des passagers, chaque pièce de la mécanique. Il était le pilote du vol en solo. C'était une analogie qu'il avait dessinée sur papier dès 1978 : son plan de bataille, sa carte d'état-major.
Depuis toujours, il rêvait d'avoir une carrière en solo, bien avant qu'il puisse la réaliser.
Mais si pour moi la décision dêtre seul était très dure, c'était encore plus douloureux pour lui. C'était quelqu'un qui aimait faire plaisir aux gens ; il détestait l'idée même de la confrontation ou de pouvoir déplaire ou de faire du mal. En studio, son instinct créatif se manifestait par une insistance gentille mais tenace. En revanche, dans sa vie personnelle, il préférait la politique de l'autruche, en espérant que le problème allait se résoudre tout seul. Dans son coeur, il savait qu'il portait sur ses épaules les Jacksons, et c'était son boulet.
A mon avis, deux éléments ont été décisifs pour que sa carrière en solo démarre. D'abord, les frères sont partis l'un après l'autre. Marlon a épousé sa copine Carol et Randy a déménagé pour être indépendant à l'âge de 17 ans. Michael, qui avait tellement l'habitude de nous avoir autour de lui, s'est retrouvé tout seul avec maman, Joseph, La Toya et Janet. Rebbie, qui voyait la chose de loin, a dit qu'il avait souffert de voir ses frères quitter la maison.
- Il ne voyait pas comment il aurait pu continuer à faire une musique solide si ses frères ne restaient pas concentrés à 100%.
Michael était marié à son travail, et ça le dépassait que nous puissions laisser nos femmes se mettre entre nous et notre musique. Le conditionnement que nous avions subi de la part de Joseph avait laissé des traces. La seule compagne de Michael était sa musique : il n'y avait tout simplement pas de place dans sa vie pour une femme. Dans ce vide sans la fratrie, il s'est habitué à vivre seul. Plus il passait de temps tout seul, plus l'idée de la carrière solo semblait évidente. Mais sa force de propulsion fut Diana Ross. Elle lui soufflait à l'oreille, lui disant qu'il avait besoin de courir après ce qu'il voulait, comment utiliser son nom à lui et non le nom de la famille ; elle avait réussi à quitter les Supremes pour devenir Diana Ross. Cette femme célèbre qu'il adorait et qui était son mentor, son guide, lui disait que s'il voulait être le meilleur, il fallait qu'il fasse le saut ... pour s'envoler.
Ce conseil a changé sa destinée. Ca s'est passé à New York sur le plateau de cinéma d' "Universal", pendant le tournage de la comédie musicale "The Wiz", l'adaptation du "Magicien d'Oz". Diana jouait Dorothy, et Michael, l'épouvantail. C'est M. Gordy qui lui avait proposé ce rôle à l'écran après que "Motown" eut acheté les droits, ce qui prouve bien que mon beau-père n'était pas rancunier, même s'il se demandait comment Michael réagirait à son invitation.
J'étais dans mon ranch quand le téléphone a sonné. J'étais stupéfait.
- Je n'en reviens pas ! Ce n'est pas une blague ! Michael dans Le Magicien d'Oz ! C'est vraiment fait pour lui ! Croisons les doigts !
Il y avait encore à départager les deux candidats pour le rôle ; Ben Vereen était l'autre favori - et en 2005, il a joué le rôle du magicien dans la comédie musicale "Wicked". Mais c'est Michael qui a obtenu le rôle après avoir fortement impressionné "Universal".
Le film n'a pas marché, mais Michael a reçu tous les éloges pour sa performance. Le réalisateur, Sidney Lumet, a déclaré : "Michael est le jeune homme le plus talentueux depuis James Dean ; c'est un acteur brillant, un danseur phénoménal, un des talents les plus rares avec qui j'ai travaillé. Je pèse mes mots".
Cette expérience a éveillé chez Michael le désir de faire d'autres films. Et cela l'a rapproché de Diana.
Sa dévotion à notre marraine de "Motown" a démarré à l'adolescence, car c'est la première femme dont il est véritablement tombé amoureux, il faut le dire. Je me suis souvent demandé si elle avait éprouvé pour lui ce qu'il ressentait pour elle ou bien si elle ne voyait en lui que le petit garçon qu'elle avait rencontré la première fois. Michael sentait qu'elle ne le voyait plus comme un enfant, mais comme un homme et un artiste respecté. Ils partageaient une amitié sincère et profonde, une de celles qui existent rarement à Hollywood, et je crois que c'est ce qu'il désirait le plus. Est-ce qu'il s'agissait d'une relation intime ? C'est dans ses chansons - semi-autobiographiques - qu'il faut chercher la vérité. Si vous écoutez les paroles de "Remember The Time" (Souviens-toi), qui est sortie en 1992, elles parlent d'elles-mêmes. Michael m'a dit qu'il avait écrit cette chanson en pensant à Diana Ross ; le seul grand amour de sa vie, qui lui avait échappé.
Michael n'a jamais parlé de son sentiment de solitude à Hayvenhurst, sans ses frères. Il a caché sa tristesse, même s'il vivait sous le même toit que mes parents et mes soeurs. C'est seulement quand nous avons lu son autobiographie que j'ai compris que c'était une des périodes les plus difficiles de sa vie.
Bien entendu, il a créé un lien spécial avec Janet, qui le suivait comme son ombre. Ces deux-là étaient tellement semblables que c'était sidérant. Janet, quoique garçon manqué, était la version féminine de Michael, et de bien des manières : sensible, gentille, curieuse, fragile en société, généreuse et pleine d'attentions. Mais elle n'était pas toujours là parce qu'elle jouait dans une série télévisée pour "CBS" qui s'appelait "Good Times" (elle jouait le rôle de Penny), ce qui l'obligeait à travailler presque tous les jours de 9 heures à 17 heures. Michael était aussi très proche de La Toya.
Il adorait ses soeurs. Sans elles, il aurait été complètement perdu. Je pense qu'il y a quelque chose dans la fratrie que seul un frère peut connaître, et je soupçonne qu'il a eu le même choc que moi au moment de notre séparation. C'était peut-être aussi la confrontation avec la réalité, le fait que finalement nous n'avions pas de vrais amis en dehors du business ; nous n'en avons jamais eu. Pas à Gary. Pas à Los Angeles. Notre style de vie, nos agendas blindés et nos rêves sans fin nous avaient empêchés de former de vrais liens d'amitié à l'extérieur de la famille. Le mot "amitié" ne faisait pas partie de notre vocabulaire.
Alors, quand il s'ennuyait, Michael disait à maman qu'il allait faire un tour dans la rue. Le boulevard Ventura, qui va d'Est en Ouest, fait la jonction entre la vallée de San Fernando et Hollywood. Michael n'avait qu'à tourner à gauche en sortant de la maison et il arrivait au supermarché du coin. Il n'allait pas là-bas pour se changer les idées : il y allait pour côtoyer des gens qui ne savaient pas qui il était. Il allait à la rencontre de n'importe qui dans le voisinage, du moment qu'il pouvait faire la connaissance de quelqu'un.
Bien des années plus tard, nous en avons parlé.
- Mais pourquoi tu ne m'as pas appelé ? Ou un autre de tes frères ?
- Toi, tu avais Hazel. Je ne voulais pas te déranger.
C'était tout Michael : il avait toujours peur de déranger, d'être en trop. Peu importe la raison, ce n'était pas la première fois qu'il était en pleine détresse et qu'il ne parvenait pas à nous joindre et à nous demander de l'aide. Il préférait souffrir en silence, s'en aller et chercher ses réponses à l'extérieur. C'est comme s'il avait eu envie de se présenter sous une identité neuve, comme une ardoise vierge. Il m'a raconté que lorsque les automobilistes le reconnaissaient sur le boulevard Ventura, ils s'arrêtaient en criant :
- Michael Jackson !
Ils baissaient leurs vitres et lui demandaient un autographe. Ils le prenaient en photo. Tout ce qu'il voulait, c'était juste établir un lien de sympathie, mais je peux seulement imaginer sa tristesse quand il devait retomber dans la réalité.
Michael a compris rapidement que sa vraie personnalité était invisible ; la seule chose que les gens voyaient, c'était l'image de Michael Jackson. C'était la rançon de la célébrité : elle éclipse le véritable soi, et quelqu'un comme mon frère n'avait aucune chance d'être "vu" tel qu'il était réellement. A partir de ce jour-là, ses amis ne pouvaient venir que d'un groupe très sélectionné dans les personnalités d'Hollywood.
Le hasard a bien fait les choses, car le chef d'orchestre et le compositeur de la musique du "Magicien d'Oz" était Quincy Jones, qui est devenu le directeur artistique de Michael pour son premier album en solo, "Off The Wall", en 1979. Michael connaissait déjà Quincy avant le film, car il avait un orchestre très coté, Wattsline, et il animait également un atelier pour les artistes inconnus à Los Angeles. Quand il a accepté de travailler avec mon frère, il a dit : "S'il arrive à faire pleurer les gens en chantant une histoire de rat (Ben), alors il doit avoir quelque chose !"
Au départ, cet album a été vu comme un autre projet solo sous le parapluie du groupe, comme les précédents, d'autant plus que Michael apporterait son matériel pour le 4ème album des Jacksons, "Triumph".
Je ne sais pas s'il a imaginé que "Off The Wall" serait un succès, mais le travail de Quincy a tout changé. Michael et lui avaient une équipe de choc. Quincy mettait en forme et accouchait les idées de mon frère. Ensemble, ils ont fait aboutir le son unique, la signature de cet album. Il s'est vendu à 8 millions d'exemplaires aux Etats-Unis, avec deux 45 Tours classés n°1 : "Rock With You" et "Don't Stop 'Til You Get Enough" ; ce dernier titre a remporté le "Grammy" de la meilleure performance vocale masculine de RnB.
Mais Michael n'a pas fêté cette première victoire ; il a pleuré. Il a regardé la cérémonie à la maison, désespéré de ne pas avoir gagné le record de ventes de l'année. Pour un album qui avait remporté tous les hommages de l'industrie du disque, des critiques et des fans, un disque d'or ne lui semblait pas suffisant. Il a senti qu'on le snobait et que tout ce travail colossal n'était pas apprécié à sa juste valeur. Il a adopté cette attitude du "je vais leur montrer" et il a décidé de frapper plus fort, de viser plus haut. C'est alors qu'il a pu inscrire sur le miroir de la salle de bains à Hayvenhurst : "THRILLER, 100 MILLIONS DE DISQUES VENDUS ... TOUS LES SPECTACLES COMPLETS". Son désir était conditionné : ne pas être le deuxième lauréat et entrer dans "Le Livre Guinness des Records". Michael savait également tout ce qu'il fallait faire et sacrifier pour y arriver. La concentration. La détermination. La persévérance. La passion dans ce que l'on fait. Il a écrit ces mots-clés partout. Il avait 21 ans, et il était bien décidé à prendre sa vie en main.
- Jermaine Jackson.
A suivre ...
#Mélie
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